
À l'automobiliste qui s'arrête précipitamment au bord de ce chemin, qui par sa quiétude même lui a semblé destiné à servir de wc public, alors qu'il est la route que suivent nos pas vers plus de liberté et d'espace, plus de territoire imaginaire, plus de géographie et plus d'amitié; à la randonneuse qui pense que l'hygiène élémentaire lui impose de s'essuyer sitôt après et de déposer cette étrange obole bien en vue sous les yeux de tous ceux qui sont pourtant venus là pour voir bien autre chose, à ceux qui signalisent ainsi les plus beaux sites du Haut-Allier comme les plus modestes (petits bois de pins, sentiers de bords de rivières, chapelles romanes érigées en plein ciel) prouvant par là qu'ils ont bien su résister au syndrome de Stendhal*, à tous ceux-là, je voudrais dire que si le papier toilette, après tant de siècles d'essuiements sommaires, si ce papier-là leur est devenu à ce point indispensable, qu'ils ont sûrement dans leur sac ou dans leur voiture un sachet de plastique dans lequel le glisser, avant de le déposer dans un lieu qui serait, lui, une vraie poubelle et nous laisser un peu rêver, un peu en dialogue avec la beauté, un peu en alliance avec notre géographie, sans ce rappel permanent de ce qu'il y a de plus ordinaire dans l'humanité et somme toute, de plus merdique.
*Le syndrome de Stendhal est une maladie psychosomatique qui provoque des accélérations du rythme cardiaque, des vertiges, des suffocations voire des hallucinations chez certains individus exposés à une surcharge d'œuvres d'art. Cette perturbation est assez rare et touche principalement des personnes trop sensibles. Ce syndrome fait partie de ce qu'on peut appeler les troubles du voyage ou syndromes du voyageur. Ce syndrome est appelé ainsi à la suite de l'écrivain français Stendhal qui a vécu une expérience similaire lors de son voyage en Italie, à l'étape de Florence. Il écrit alors : « J'étais arrivé à ce point d'émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. »Stendhal n'a rien fait pour s'en prémunir puisque s'asseyant sur un banc de la place, il lut un poème pour se remettre, et vit que ses visions empiraient à la lecture de cette somme de culture ambiante dans les lieux : il fut épris et malade à la fois de tant de profusion.